Acheteurs – Robot, Acheteur Augmenté, quel sera l’avenir de l’acheteur ?
Patrick Chabannes : Bienvenue à cette dernière conférence en préfiguration du Salon Solutions, le salon des Solutions SI Achats, qui se tient le 5 et 6 octobre à Paris Porte de Versailles. Nous avons voulu explorer le thème de Acheteurs – Robot, Acheteur Augmenté ? Quel sera l’avenir de l’acheteur ?
Pourquoi ce sujet de Robot – Acheteur, Acheteur Augmenté ? D’un côté nos amis éditeurs de logiciels usent de concepts tels que le autonomous procurement, le cognitive sourcing, le RPA, le chatbot, l’intelligence artificielle et les moteurs de recommandations. D’un autre côté, il y a aussi le monde humain, le monde des acheteurs qui doit utiliser ou qui peut utiliser ces outils. En 1946, Georges Bernanos partageait une vision prospective de l’optimisation de l’utilisation du matériel humain du monde moderne : « Le progrès n’est plus dans l’homme, il est dans la technique, dans le perfectionnement des méthodes capable de permettre une utilisation chaque jour plus efficace du matériel humain. » (La France contre les robots, 1946)
Pour discuter de cette robotisation, cette automatisation, cette augmentation, nous avons réuni Florence Baiget, Directrice des Achats Groupe et France de Transdev, Laeticia Catrice, Directrice des Achats de Sephora Collection et une personne bien connue des systèmes d’information achats, Alain Alleaume, le créateur du cabinets Altaris qui procure des conseils depuis plus de 20 ans.
Première partie : Un acheteur robot est-il un acheteur ?
Patrick : Est-ce que cette robotisation, ce robot acheteur, est une nécessité pour les achats ?
Laetitia Catrice : Bonjour à tous, merci pour cette question. Est-ce une contrainte ou une nécessité ? Je le vois plus comme une opportunité. Aujourd’hui, tous les outils digitaux doivent être là pour assister nos équipes achats. C’est vraiment sous cet angle là que je vois la digitalisation de nos directions. Ce qui est important, l’enjeu, c’est de définir quelle valeur ajoutée ces outils digitaux vont apporter à l’acheteur.
Quelle valeur ajoutée l’acheteur va pouvoir à un moment donné trouver dans ses outils. D’abord pour mieux réfléchir, pour passer du temps là où on l’attend, c’est à dire mieux comprendre le contexte de son entreprise et ses fournisseurs et utiliser vraiment ces outils digitaux comme une source d’efficacité et de valeur ajoutée.
« Ce qui est important, l’enjeu, c’est de définir quelle valeur ajoutée ces outils digitaux vont apporter à l’acheteur. »
Et j’ajouterai juste un point. Il est important de comprendre comment le digital va se développer intelligemment pour soutenir les transformations, et notamment des stratégies achats, auxquelles les acheteurs font face.
Patrick : Alain, Comment pourriez-vous définir ou expliquer cette robotisation ?
Alain Alleaume : Ce que je constate, c’est que la fonction Achats est toujours effectivement embolisée par beaucoup d’activités qui parasitent le travail de l’acheteur. Nous sommes sur un terrain de jeu infini pour des ressources finies. L’on peut effectivement imaginer que l’automatisation et ses outils puissent apporter cette valeur que vous venez de définir pour recentrer le travail de l’acheteur. Là, il apporte de la valeur. J’enfonce, des portes ouvertes, mais il faut quand même voir que l’informatisation de la Fonction existe depuis 30 ou 40 ans depuis les premières machines sous cobol jusqu’aux technologies de l’information. Donc effectivement on avance par vagues sur des technologies qui sont aujourd’hui plus des technologies de rupture. Mais comment va-t-on maitriser ces technologies pour aller à l’essentiel ?
« Ce que je constate, c’est que la fonction Achats est toujours effectivement embolisée par beaucoup d’activités qui parasitent le travail de l’acheteur. Nous sommes un terrain de jeu infini pour des ressources finies. »
Je constate quand même qu’il y a un effet de mode dans les entreprises. Les directions générales ont mis en place une direction de la digitalisation avec les CIO/CDO poussant tous les métiers à faire des expérimentations, les fameux POCs, Proof of Concept, devenu des POV, Proof of Value, pour constater la valeur grâce au test. Je pense qu’on prend le chemin à l’envers. Il serait meilleur de constater d’abord les irritants sur lesquels on veut effectivement gagner en efficacité.
Je constate aussi que le taux d’occupation des acheteurs pose question pris qu’ils sont par les courriels, des réunions…des activités que l’on pourrait revisiter avec des outils apportant un traitement beaucoup plus automatisé pour permettre par exemple de travailler sur les stratégies d’achat. « Car je trouve que nous sommes très pauvres en matière d’aide à l’acheteur pour faire des bonnes stratégies d’achat. »
Patrick : Florence, pour vous, cette automatisation, ce robot-acheteur, est-il un compétiteur ou une aide à réaliser, comme le dit Alain, le nombre de tâches infinies de la journée de l’acheteur ?
Florence Baiget : Je ne suis pas très à l’aise avec le fait de rapprocher robot et acheteurs parce que je trouve que c’est assez antinomique. En revanche, il faut trouver une manière de travailler pertinente et complémentaire pour centrer nos acheteurs sur les tâches à valeur ajoutée. C’est assez classique comme discours, mais concrètement ça passe par l’automatisation de bouts de processus. Il s’agit d’être précis et chirurgical sur ce qui va nous permettre de gagner du temps : déployer de l’information, permettre d’accéder à l’information, de faciliter la connaissance de nos politiques achats.
« Tout ce travail automatisable va libérer l’acheteur pour le centrer sur tout ce qui est afférent à la relation, à l’analyse, à la construction de plans d’action, à la conduite du changement et à la connaissance du marché. »
Tout ce travail automatisable va libérer l’acheteur pour le centrer sur tout ce qui est afférent à la relation, à l’analyse, à la construction de plans d’action, à la conduite du changement et à la connaissance du marché. Et donc je pense que si Robot – Acheteur veut dire que l’on soulage le professionnel sur un certain nombre de bouts de processus, alors oui c’est un partenaire de la fonction.
Alain Alleaume : L’approche chirurgicale, j’aime bien le terme. Je considère qu’il y a beaucoup de trous dans la raquette, aujourd’hui, dans la manière dont les processus sont aujourd’hui intégrés dans les systèmes d’information. Il y a beaucoup de cas d’usage justement nécessitant cette approche très chirurgicale de bouts de processus qui sont mal adressée par les solutions digitales du marché.
Patrick : Laetitia, nous sommes, guidés par des chiffres, par des tableaux de bord, un matériel humain immergé dans un monde de chiffres. Que cela vous inspire-t-il ?
Laetitia Catrice : J’aime bien effectivement cet environnement chiffré que que vous soulignez, Patrick. Aujourd’hui, je pense que c’est important quand on pilote une stratégie achats, on recherche une performance. Ces outils nous permettent de mettre de l’analytique dans notre stratégie achats pour expliquer où l’on va. Une des compétences d’un acheteur d’aujourd’hui est avoir cette affinité pour interpréter les données proposées par les outils digitaux. Mais ceux-ci ne lui enlèveront jamais ses compétences : interagir avec mon environnement interne et externe avec des capacités relationnelles fortes. Ça c’est quelque chose qui ne sera jamais remplacé demain par un robot !
« Je dis souvent à mes acheteurs aller voir leurs fournisseurs, de regarder comment le processus industriel est réalisé. Parce qu’elle est là, la performance plus qu’effectivement dans un bureau, en faisant du data crushing. »
Effectivement j’aime bien, Florence, votre pensée : « Il est difficile de comparer un robot avec un acheteur ». Je dis souvent à mes acheteurs aller voir leurs fournisseurs, de regarder comment le processus industriel est réalisé. Parce qu’elle est là, la performance plus qu’effectivement dans un bureau, en faisant du data crushing. Ce qui est important, c’est de se prendre par la main et d’aller chez le fournisseur. Le robot, lui, ne risque pas d’y aller demain !
Alain : Je reviens sur l’analyse que j’avais faite : Quel pourcentage du temps de travail d’un acheteur est dépensé dans des visites aux Fournisseurs ? Réponse : 5%
Et là je suis entièrement d’accord. Le sujet c’est bien d’aller vers le client interne et d’aller chez le fournisseur chercher des idées, de la productivité, de la connaissance des moyens industriels et ça effectivement c’est le travail de l’acheteur de demain. Nous espérons que les outils digitaux lui offriront plus de temps pour le faire. On espère.
Laetitia : Oui, il faut se rappeler qu’acheter, c’est comprendre. Comprendre le processus industriel que l’on a en face de nous, comprendre nos fournisseurs et comprendre dans quel écosystème on interagit. Et ça, le robot ,demain, ne pourra pas le faire.
« il faut se rappeler qu’acheter, c’est comprendre. »
Florence : Moi juste un petit mot sur la partie analytique. Je trouve que c’est vraiment important pour moi dans notre capacité à embarquer nos clients internes dans la bonne mise en œuvre de notre politique achats. Enfin, quand on a des KPI’s clairs qui disent : là c’est appliqué, ici ça ne l’est pas – on peut engager des plans d’actions. Tant qu’on est dans le flou sans avoir d’éléments objectifs et factuels à partager avec les comités de direction, il sera toujours extrêmement difficile d’engager des actions. Voilà pour moi, un autre exemple de complémentarité et de valeur ajoutée : une stratégie achats qui ne peut qu’être pensée par un être humain et une production de KPI’s à analyser…toujours avec cette valeur ajoutée humaine.
Deuxième partie : L’acheteur augmenté, une nécessité dans un monde complexe ?
Patrick : Alain, d’où vient cette idée de l’acheteur augmenté ? Vous êtes, me semble-t-il, le premier à l’avoir posée. Ce concept ne fait-il pas suite à celui du bureau de l’acheteur dont vous parliez déjà il y a près de 20 ans ?
Alain : À l’époque, on parlait du Buyer Cockpit ou du Buyer Dashboard. L’idée, enfin pour moi était très centrale : L’acheteur arrive le matin à son bureau, il ouvre son PC et directement il doit avoir toutes ces actions à mener, son camembert de reporting, tous les éléments dont il a besoin. Son Cockpit ! Il a sa liste de courses pour la journée. Voilà, à la limite il y a même plus d’email mais il reçoit les notifications directement par la plateforme. On y arrive maintenant avec les solutions du marché. Sur la notion d’acheteur augmenté, c’est dans le même ordre d’idée que la réalité augmentée. C’est d’ouvrir les grandes antennes pour pouvoir capter de l’information. Par exemple, les fameux signaux faibles. C’est l’idée de devenir plus intelligent et curieux, une grande qualité d’un acheteur.
Patrick : Vous parliez tout à l’heure des Analytics. Comment devenir un acheteur augmenté ? Quel discours tenir aux éditeurs ?
Laetitia : On a souvent l’image d’un acheteur qui irait plus vite de manière plus efficace parce qu’il aura bien connaissance de ses KPIs et qu’il serait doté d’un logiciel efficace développé par son entreprise. Malheureusement, je pense qu’aujourd’hui, les nouveaux enjeux – agilité, développement durable, etc… – obligent l’acheteur à faire évoluer ses KPI’s fréquemment et lui imposer un outil est contre-productif.
« Je préférerai inverser la proposition et demander à mes acheteurs : quels sont les outils digitaux dont vous avez besoin pour répondre à la performance que je vous demande. Et ça, c’est vraiment important. »
Je préférerai inverser la proposition et demander à mes acheteurs : quels sont les outils digitaux dont vous avez besoin pour répondre à la performance que je vous demande. Et ça, c’est vraiment important. Et du coup, ce que je demanderais, justement, aux éditeurs qui m’écoutent et qui ont développé des systèmes digitaux de nous accompagner et de vous adapter. Les besoins seront vraiment différents suivant que les acheteurs évoluent dans une entreprise de grande consommation ou de transformation industrielle, qu’ils travaillent sur des achats directs ou des achats indirects.
Patrick : Florence, comme Laetitia, vous représentez la nouvelle génération des directeurs achats. Quel message porteriez-vous auprès des éditeurs de solutions SI Achats?
Florence : En premier je pense effectivement que nous avons un sujet autour de la priorisation à ressources contraintes nos enjeux. Nous ne pouvons pas mettre la même énergie sur l’ensemble des catégories. Un besoin de prioriser à ressources contraintes.
Donc pour moi, les solutions digitales doivent permettre d’accéder aisément à un socle de données commun. Parce que la vraie valeur ajoutée d’un acheteur, c’est cette capacité à intégrer des visions extrêmement différentes, des contraintes et de proposer le meilleur compromis possible à son entreprise, la meilleure stratégie achat possible en ayant pris en compte le fameux QCD classique mais aussi tous les critères tels que l’anti-corruption, RSE, etc…Les critères pour pouvoir proposer la meilleure stratégie deviennent de plus en plus nombreux et donc, pour moi la vraie valeur ajoutée d’une solution digitale est de proposer ces données pour que l’acheteur arrive à en extraire l’essentiel afin de proposer la meilleure stratégie achat à son entreprise.
« Pour moi, la vraie valeur ajoutée d’une solution digitale est de proposer ces données pour que l’acheteur arrive à en extraire l’essentiel afin de proposer la meilleure stratégie achat à son entreprise. »
Ensuite, on achète en comprenant ce que l’on achète. Nous avons besoin de monitorer des composantes de la structure de coûts qui sont évidemment différents selon la famille Achats. Les solutions digitales doivent permettre de travailler ponctuellement de manière approfondie et de sécuriser les basiques. C’est compliqué mais cette double attente existe.
Patrick : Alain, avec vous avez été Directeur des Achats et accompagnez vos pairs dans la digitalisation depuis 20 ans, avez-vous l’impression que les éditeurs de logiciels comprennent la complexité du métier à la hauteur des attentes exposées là par Laetitia et par Florence ?
Alain : Pour être très franc, je dirais que les solutions répondent en fait à une vision moyenne des besoins des clients. Je rejoins ce que vous disiez tout à l’heure, Florence, quand vous avez parlé d’application chirurgicale. On va aller directement sur un domaine d’achat pour aller approfondir le sujet. Et ça aujourd’hui, il faut travailler manuellement avec un l’outil que vous avez aujourd’hui disponible ou que vous aurez demain. Il ne faut pas oublier, sans vouloir être négatif, que les outils de eSourcing, de gestion des consultations, sont des boîtes vides au départ. Quand vous achetez une solution de eSourcing, elle fait tout sauf du sourcing. C’est votre intelligence d’acheteurs qui va après faire le job. Alors est-ce que c’est bien ou pas ? Je trouve que sur les catégories d’achats indirects où, quand même, on retrouve des standards assez classiques entre entreprises sans grandes différenciation, les logiciels eSourcing pourraient avoir déjà des contenus, des modèles de décomposition de coûts, des questionnaires type prêts à l’emploi. C’est un vrai sujet de de réflexion.
« Je trouve que sur les catégories d’achats indirects où, quand même, on retrouve des standards assez classiques entre entreprises sans grandes différenciation, les logiciels eSourcing pourraient avoir déjà des contenus, des modèles, prêts à l’emploi. C’est un vrai sujet de de réflexion. »
Je voulais aussi rebondir sur le besoin métier face au digital que vous exprimiez Laetitia. La question est : Quel est le besoin ? Quels sont les points douloureux ? Les fameux pain points qui s’apprécient en profondeur en fonction des types de population. C’est le but des études de cadrage.
Mon dernier point concerne les informations. Aujourd’hui nous avons besoin aussi d’avoir l’information en temps réel. L’acheteur est dans une vision dynamique. La technologie permet d’avoir accès à des abonnements chez des prestataires pour obtenir une donnée rafraîchie qui donne du sens à l’action.
« Aujourd’hui nous avons besoin aussi d’avoir l’information en temps réel. L’acheteur est dans une vision dynamique. La technologie permet d’avoir accès des abonnements chez des prestataires pour obtenir une donnée rafraîchie qui donner du sens à l’action. »
Laetitia : C’est juste, Alain. Je vois ces données disponibles un outil d’aide à la décision. Aujourd’hui je peux avoir une problématique de transport ou sur les matières premières. Face à ça, quelles sont les nouvelles données dont j’ai besoin et en quoi vont-elles aider l’acheteur à faire son analyse et à prendre des décisions. Demain nous aurons peut-être un marché moins inflationniste ou plus encore focalisé sur le développement durable, de quelles autres informations vais-je alors avoir besoin ?
« L’accès à la donnée doit être flexible, simple et contextualisé pour nous aider à analyser et décider. »
Alain : De plus ce besoin se renforce avec les règlementations (Sapin II… ) qui nous tombent dessous et viennent dans la bannette de l’acheteur !
Florence : Ça nous tombe dessus et ça génère une charge administrative qui, si elle n’est pas un minimum outillée, peut nous faire passer à côté de nos enjeux, nous faire passer à côté de notre valeur ajoutée. Pour moi, il est crucial de pouvoir accompagner la mise en œuvre des réglementations par des solutions qui simplifient la vie de tous sinon, on peut s’y noyer.
« Il est crucial de pouvoir accompagner la mise en œuvre des réglementations par des solutions qui simplifient la vie de tous sinon, on peut s’y noyer. »
Laetitia : Nous parlions de processus. Vraiment, je n’apprécie pas ce terme de processus achat parce que je pense que l’on confond ce que l’on fait au quotidien et le fait de suivre un processus. Le processus achat, et c’est ma conviction, peut et doit être beaucoup plus léger. Nos processus achats et même nos processus d’entreprise doivent d’une manière générale s’alléger pour permettre de diminuer les tâches administratives et bureaucratiques qui ont beaucoup pesées dans les directions achats ces dernières années. Nous espérons que grâce au digital et à nouveaux enjeux passer moins de temps sur le processus et sa rédaction.
« Vraiment, je n’apprécie pas ce terme de processus achat parce que je pense que l’on confond ce que l’on fait au quotidien et le fait de suivre un processus. Le processus achat, et c’est ma conviction, peut et doit être beaucoup plus léger. »
Alain : J’adore ce que vous dites sur le processus achat. Vous prêchez un converti. Quand je parlais du bureau de travail digital d’un acheteur, pour moi, il n’y a pas de processus dans le bureau de travail !
L’acheteur va chercher les informations nécessaires, ses actions à faire. C’est l’acheteur qui décide de ses priorités. Dans le eProcurement, l’engagement des dépenses, il y a un processus d’entreprise et ses règles de gestion. Mais dans les achats, pour moi, le processus doit être sous-jacent et complétement transparent. Par exemple dans un dossier d’appels d’offre, l’acheteur doit pouvoir intervenir à n’importe quelle étape du processus car vous n’êtes pas dans une logique de processus. La logique de l’action est telle que vous la mettez dans vos priorités de de travail.
« Par exemple dans un dossier d’appels d’offre, l’acheteur doit pouvoir intervenir à n’importe quelle étape du processus car vous n’êtes pas dans une logique de processus. La logique de l’action est telle que vous la mettez dans vos priorités de de travail. »
Laetitia : Et puis le processus tue l’initiative et la curiosité. Comment créer une dynamique d’équipe et mobiliser l’intelligence et la curiosité si notre métier se résumait à suivre les 26 pages du processus achat !
Patrick : La Fonction est arrivée à maturité sur ces fondamentaux. Prenons-nous le temps pour indiquer collectivement nos besoins à la communauté des éditeurs ? Qu’en pensez-vous, Florence ?
Florence : Ce qui me vient, en écho à votre questionnement, est une expérience que j’ai eue avec un besoin métier bien précis. Je souhaitais qu’on puisse monitorer nos dépenses dites achat inclusif. Il n’y avait pas de définition vraiment existante au niveau de la Communauté des achats. Je me suis dit à un moment, si on veut pouvoir progresser, il faut mesurer. Et donc j’ai travaillé avec un partenaire externe sur la réponse à ce besoin fonctionnel qui était sans réponse d’outil standardisé. C’est un exemple, l’éditeur en a fait une solution qu’il est maintenant en train de proposer plus largement. Là ça je trouve que c’est intéressant. Maintenant la réponse à votre question est plutôt négative. Je pense qu’on ne prend pas suffisamment le temps de recul. Les éditeurs sont-ils prêts à cela ? Je questionne.
Patrick : Nous constatons en effet cette relation directe entre une société et l’éditeur depuis + de 20 ans. Laetitia, avez-vous constaté la même chose ?
Laetitia : Nous ne passons pas le temps suffisant sur la question mais cela est aussi lié à la maturité de la Fonction au regard de la digitalisation des achats et de la digitalisation de la marque, de l’entreprise. Les Achats ne sont pas séparés non plus de la stratégie omni-canal de leur entreprise, je parle là pour Sephora.
« Nous sommes sur l’humain d’abord, mais la digitalisation au service de l’efficacité d’une équipe et ça c’est vraiment important. »
Du coup il s’agit d’avoir un plan d’intégration des besoins et des technologies. Ce dont je suis sûre, c’est que, naturellement, à partir du moment où nous avons identifié en quoi le projet est une source d’efficacité et apporte une valeur ajoutée alors nous passerons utilement du temps avec les fournisseurs éditeurs. Nous sommes sur l’humain d’abord, mais la digitalisation au service de l’efficacité d’une équipe et ça c’est vraiment important.
Troisième partie : Automatisation ou augmentation, une vision de technologue ? Quel sens pour la Fonction Achat ?
Patrick : Serions-nous des robots dans l’entreprise jonglant entre les systèmes d’information et enchaînant les tâches ? Que nous apportent ces nouvelles technologies ?
Laetitia : C’est un sujet sensible. Il faut casser cette image de l’acheteur d’aujourd’hui dans son quotidien avec ses tâches, ses tâches répétitives et son processus. Oui, qu’on soit dans une petite PME ou dans une grande multinationale, on a des choses à respecter. Mais ce qui est important, c’est : de quoi avons-nous besoin pour être efficace dans nos organisations. Pour moi, c’est la mobilisation de l’intelligence collective.
« Un bon acheteur aujourd’hui vient d’horizons divers, il est ouvert aux autres, a de la curiosité et doit intégrer facilement les possibilités offertes par les systèmes d’information. »
Il est important dans une organisation achat d’avoir des acheteurs capables de révéler une personnalité. Un bon acheteur aujourd’hui vient d’horizons divers, il est ouvert aux autres, a de la curiosité et doit intégrer facilement les possibilités offertes par les systèmes d’information. Et si la compétence lui manque, il peut la trouver dans son équipe, avec des collègues plus jeunes ou plus expérimentés pour créer cette intelligence situationnelle, source réelle d’efficacité.
Patrick : Florence, tout à l’heure, vous nous disiez attendre de vos acheteurs d’exprimer leur besoin pour être plus efficaces. Comment va-t-on mesurer la réalité ? Ce gain de temps de cerveau disponible ?
Florence : Un des biais premiers est de ne pas avoir d’esprit critique au regard de l’information produite par un système car la qualité de la donnée peut n’être pas bonne et le processus ne décrire qu’en partie le réel. Il est important d’avoir confiance dans la technologie, mais, en même temps, de toujours avoir conscience des limites liées notamment à la qualité de la donnée ; donc il s’agit de toujours garder son esprit critique par rapport aux fruits de la digitalisation, et d’être concret et de bon sens.
« Il est important d’avoir confiance dans la technologie, mais, en même temps, de toujours avoir conscience des limites liées notamment à la qualité de la donnée. »
La digitalisation de nos processus, les RPA et les solutions digitales en général doivent nous permettent de gagner du temps pour avoir la capacité à avoir une longueur d’avance sur un tas de sujets en ressources contraintes ou déclinantes pour être une fonction reconnue : une expertise sur nos catégories, une compréhension des besoins, une capacité de mise en relation de nos prescripteurs avec les fournisseurs d’aujourd’hui et de demain, un éclairage des risques liés aux nombreuses contraintes réglementaires, un travail sur l’innovation et le développement de vraies stratégies achats qui embarquent l’ensemble de l’entreprise et emportent l’adhésion de la direction générale.
Prévoir, anticiper le coup d’après tout en traitant les urgences et le quotidien, voilà l’équilibre que j’essaie de construire humblement car l’ouvrage est toujours à remettre sur le métier.
Patrick : Alain, Florence nous parle de l’importance de l’établissement des stratégies Achats permettant d’emporter l’entreprise et la DG. Hormis quelques startups récentes, les différentes solutions du marché semblent ne pas traiter la question. Quelle est votre lecture ?
Alain : Je pense que nous sommes encore assez loin du but même si les dernières solutions ont fait un bon petit bout du chemin. La stratégie comporte deux sujets à mon sens : La Stratégie avec un S majuscule nécessitant d’avoir les bonnes informations au bon moment pour s’adapter aux événements extérieurs et embarquer les tiers et la stratégie qui est en fait de la tactique, de l’achat tactique, très opérationnel, embarquant la stratégie comme point d’entrée.
« Peut-être que je m’engage un peu sur l’avenir mais je pense que pour certaines commodités, nous pourrons avoir une capacité à automatiser le processus de demande de prix, de réponses fournisseurs, et d’analyse et de décision comme nous le voyons dans le Trading. »
Dans ce dernier cas, il existe des solutions de eSourcing avancé, ou Sourcing Optimisation, qui offrent de belles possibilités aux acheteurs : des enchères inversées aux nombreuses stratégies, des appels d’offres scellés, multi-round, multi-attributions, multi-critères avec des scénarios what if. Et là, nous atteignons les limites d’Excel car ce n’est pas Excel qui va aider l’acheteur à faire des scénarios !
Peut-être que je m’engage un peu sur l’avenir mais je pense que pour certaines commodités, nous pourrons avoir une capacité à automatiser le processus de demande de prix, de réponse fournisseurs, et d’analyse et de décision comme nous le voyons dans le Trading. Certes l’acheteur aura le dernier mot mais je suis certain que dans certaines familles d’achat, il n’y aura plus les appels d’offres tels qu’on les connaît aujourd’hui. D’un autre côté, il y a la complexité de gros appels d’offres et de l’autre accès aux marchés en temps réel…
Patrick : Laetitia, Alain nous dit voir arriver l’automatisation dans certaines catégories. Les moteurs de recommandations, l’analytique prédictible est déjà là. La machine ne va-t-elle pas être plus puissante que l’acheteur ?
Laetitia : Vous soulevez, un point important. Au fond, qu’est-ce que l’on cherche ? On cherche du résultat. Oui, nous devons avoir un esprit critique par rapport aux outils, à l’automatisation, mais oui, l’acheteur aura toujours le dernier mot. Pourquoi ? Parce que c’est lui qui avec ses outils, avec les scénarios et les what if, qui décidera de son interprétation et de la façon de s’en servir pour aboutir au résultat. Encore une fois, je reviens aux compétences des acheteurs. Je le dis souvent un acheteur, c’est quelqu’un qui est orienté résultat. Il a une obligation de résultat et non de moyens. L’acheteur utilisera avec pragmatisme une grosse dose de digitalisation sur des achats de commodité, et tant mieux. Et peut-être que sur un autre dossier, l’humain sans automatisation sera la meilleure façon de délivrer un résultat. Nous sommes dans un pragmatisme qui va être poussé à l’excès. Les outils digitaux ou méthodologiques sont au service de nos acheteurs pour produire le meilleur résultat.
« Nous sommes dans un pragmatisme qui va être poussé à l’excès. Les outils digitaux ou méthodologiques sont au service de nos acheteurs pour produire le meilleur résultat. »
Patrick : Florence, quel est votre opinion, votre pratique entre humain et machine ?
Florence : Personne ne travaille seul. Dans mon équipe, j’ai des experts data et des catégories manager, des responsables de portefeuille. Il est vraiment important que le travail se fasse ensemble. Car d’un côté un acheteur connaisseur de sa famille porte des convictions liées à son histoire et peut oublier d’aller vérifier tout ce que peut lui apporter l’extérieur comme objectivation. De l’autre la personne de la data ne sera pas en capacité de challenger l’information produite. Donc il est bon que ce binôme travaille ensemble. Ce n’est pas si simple car ce sont souvent des profils différents.
« Il faut faire grandir les compétences des uns et des autres pour que chacun intègre tout cet aspect analytique qui n’était pas naturel tout en conservant maîtrise et bon sens. »
Je rejoins l’idée qu’à la fin ce qui compte est ce qui va donner du résultat. Ce qui fera qu’on va réussir à embarquer un petit peu plus les opérationnels dans l’application de nos politiques, dans une organisation très décentralisée où il n’existe pas de petit bouton magique pour faire s’aligner toute l’organisation. Nous avons besoin de la digitalisation et d’accompagnement au changement mais à la fin des fins, ce sont quand même des personnes qui se parlent et qui se convainquent mutuellement.
Transcription remaniée de la Conférence – Live du 13 Septembre 2021 organisée par le Salon Solutions avec :
- Laetitia Catrice, Directrice des Achats – SEPHORA COLLECTION
- Florence Baiget, Directrice des Achats Groupe et France – TRANSDEV
- Alain Alleaume, Directeur associé – ALTARIS
Débat animé par Patrick Chabannes, Cyrénac Conseil
Transcription validée par les intervenants.