17 septembre 2021

De la Transformation digitale des Achats – entretien avec Sylvain Féraud

Par Patrick Chabannes

« La transformation digitale consiste à offrir tous les jours une évolution de notre rapport avec l’informatique, les données et l’information. »

Patrick Chabannes : Qu’éveille en vous la question de la Transformation Digitale des Achats ? 

Sylvain Féraud : En considérant le Procurement et les outils digitaux au service de la fonction Achats, je dirais que la Transformation Digitale a déjà eu lieu il y a quelques années. Pour ma part je parlerai d’évolution, d’évolution de notre rapport aux outils informatiques.

Regardons les changements en 20 ou 30 ans, ce digit que l’on peut décrire comme le 1 et le 0 de l’informatique peut être aussi vu comme le doigt qui manie les données, ce digit mystérieux rapproche les informations du quidam, de leur utilisateur. Car cette évolution à laquelle je fais allusion c’est la réalisation dans le monde réel de concepts nés après-guerre. Le terme d’intelligence artificielle n’est-il pas forgé dès 1956 ! Internet fut théorisé dans les années 60 et Arpanet vit le jour à l’orée des années 70. Et depuis la technologie, et plus important, notre rapport à la technologie et à ses usages changent, évoluent toujours plus vite, faisant écho à ces paroles du Robot-IA de Charles-Édouard Bouée dans son livre « La fin de l’Empire humain » :  « Dans le monde qui est le mien, dix ans, c’est un siècle. »

Patrick Chabannes : Merci Sylvain pour cette vigoureuse introduction. Quels sont donc ces nouvelles technologies optimisant la transformation digitale des Achats ?

Sylvain Féraud : Les grands éditeurs SI Achats d’aujourd’hui ont construit des suites logicielles apportant un réceptacle de données unifiées (catalogue, contrat, prix, base fournisseurs… ) qui sert bien les transactions dans le cadre d’un processus dit ‘de bout en bout’. Mais plus ces Suites s’étendent, plus elles deviennent difficiles à maintenir et à paramétrer, perdant en agilité, alors que poussés par les usages des spécialistes naissent régulièrement. 

Depuis plusieurs années déjà les éditeurs rattrapent l’histoire écrite par les spécialistes en faisant face à trois exigences : l’approfondissement fonctionnel de leurs modules, une augmentation des régulations, une demande de simplification de l’usage de leurs outils. Pour faire face à ces enjeux, la robotisation ou les assistants digitaux offrent une palette d’outils à disposition, de solides outils « d’artisan » ; ils sont désormais faciles d’accès, peu onéreux, assez rapides à mettre en œuvre, mais doivent encore gagner en maturité pour leur maintenance selon les canaux d’infrastructures traditionnels.

Ces outils, les API en libre-service, les Assistants digitaux, la Business Intelligence mobile, l’IA (ML et NPL) et les RPA facilitent la dématérialisation ‘de proximité’ des processus, les rendant désormais accessibles à des utilisateurs occasionnels. 

“En faisant évoluer le rapport entre l’humain et les outils, les robots, le RPA, participent à la transformation digitale avec une puissance incontestable.”

Patrick Chabannes : Quel est l’impact des nouvelles régulations pour l’Entreprise et pour les éditeurs SI Achats ? Pouvez-vous souligner l’importance des APIs ?

Sylvain Féraud : L’arrivée régulière et continue de nouvelles réglementations ou pratiques d’achats va hélas plus vite que notre capacité à les opérer dans nos systèmes ; elles créent parfois de nouvelles disciplines, de nouveaux usages. Par exemple, la transparence et les précautions dans les relations Fournisseurs ont créé une nouvelle discipline d’évaluation systématique des risques fournisseurs. De nouveaux éditeurs proposent des solutions adéquates et les grands éditeurs savent qu’ils ne peuvent pas courir tous les lièvres à la fois. Et il est heureux de voir que, grands comme petits, beaucoup d’éditeurs ont compris qu’ils devaient savoir inter-opérer, effaçant les disparités technologiques au bénéfice de l’usage, grâce à des API en libre-service permettant à leur client de fabriquer leur Plateforme. 

Cela reste des projets qui mettent plusieurs mois à se concrétiser, mais en internalisant ces compétences d’usage des APIs, nous devenons autonomes pour les déployer, agiles et prêts à nous adapter au changement continu du monde des affaires, des nouveaux modes de consommation plus transparents, responsables et conformes.

Patrick Chabannes : Pourriez-vous développer l’intérêt que vous portez à l’Assistant digital ? Quel est son bénéfice ? Qui doit en être maître ? 

Sylvain Féraud : Vous aurez compris que l’Assistant Digital participe de la transformation digitale en changeant le rapport avec l’information. Vous pouvez l’utiliser par exemple pour faciliter l’accès à vos bases de connaissances, à une information à jour en posant une question en langage naturel. Chacun constate que l’information devient pléthorique, et qu’il est difficile de se remémorer où trouver quoi. L’assistant digital porte alors bien son nom pour vous assister dans ces recherches.

L’autre cas d’usage est une intégration par l’éditeur de SI Achats d’un assistant pour opérer les actions les plus courantes ; cela diminue les besoins de formation, facilitent l’usage pour les utilisateurs occasionnels : Par exemple l’Assistant Digital de notre eProcurement fait parvenir les demandes d’approbation accompagnées de leur contexte dans Teams. C’est un changement précieux dans le rapport qu’entretient un ‘quidam’ avec les outils logiciel, nous nous approchons de Jarvis ! 

« Par exemple l’Assistant Digital de notre eProcurement fait parvenir les demandes d’approbation accompagnées de leur contexte dans Teams. C’est un changement précieux dans le rapport qu’entretient un ‘quidam’ avec les outils logiciel, nous nous approchons de Jarvis ! »

Patrick Chabannes : La consommation de rapports n’a-t-elle pas considérablement évolué participant en cela à la transformation digitale ?

Sylvain Féraud : Souvenez-vous 10 ou 15 ans de cela, pour avoir un rapport, il fallait être tombé dans Excel quand on était petit ou bien demander un cube à la direction informatique et attendre plusieurs semaines pour en bénéficier. 

Aujourd’hui cette même demande prend moins de 10 jours et les reporting sont consommables sur le smartphone ! Mieux encore, les dernières solutions BI incluent des algorithmes prédictifs, aussi plus on interroge, plus la BI apprend et pousse les questions du moment. 

Patrick Chabannes : Il arrive d’entendre que les robots, le RPA, ne seraient pas du digital mais de l’automatisation. Qu’en pensez-vous ?

Sylvain Féraud : Pardonnez-moi de vous le dire comme cela, mais c’est une bêtise. En faisant évoluer le rapport entre l’humain et les outils, les robots, le RPA, participent à la transformation digitale avec une puissance incontestable. Il est très fréquent de voir une ou plusieurs personnes devoir se connecter sur un ou plusieurs systèmes pour mener des tâches fastidieuses éloignées de leur cœur métier mais rendues nécessaires par la complexité des régulations. Par exemple si l’arrivée d’une facture révèle que la réception d’une commande n’a pas été effectuée : Hier, il fallait lancer un sous-processus du système de gestion de la facturation au système de gestion de la réception et un être humain va se connecter, prendre connaissance et agir. Aujourd’hui nous avons mis en œuvre un RPA qui effectue automatiquement ces opérations, et ne pousse vers l’utilisateur que celle qui mérite sa décision, lui apportant le contexte et lui proposant de mettre à jour les différents systèmes à sa place. Cette ‘digitalisation’ replace nos utilisateurs là où ils doivent agir avec un apport de valeur, leur permettant ainsi de toujours plus se concentrer sur notre vocation à servir nos patients. C’est bien ce progrès là qu’elle offre.

“Old Process + New Digital Technologies = Very expensive Old Process.”

Patrick Chabannes : Trop de personnes font le travail du logiciel à la place du logiciel. Remettons l’homme à sa place. Mais ces projets ne sont-ils pas compliqués ? Avez-vous une idée de ROI ?

Sylvain Féraud : Mais détrompez-vous ! Il ne s’agit pas de ces projets de 9 mois en méthode en V. Pas du tout. Il s’agit réellement de projets menés selon une méthode agile. Cela permet d’obtenir rapidement des premiers bénéfices : même avec 20% d’erreur, il faut partir en production et affiner lors d’autres sprints. Cela change le rapport des équipes métier avec un projet informatique tant le bénéfice est visible rapidement et la mise en œuvre déroutante de facilité même si au début, l’accompagnement par un spécialiste reste nécessaire. 

Ajoutez que la succession de tâches exécutées ayant été mimées à partir du travail d’un expert, elle sera toujours exécutée avec le même niveau de compétence, une homogénéité de qualité, 24*365. Bon, reconnaissons que les erreurs sont aussi répétées avec le même niveau de rigueur (DLR : rires partagés)

Nous avons fixé un seuil de retour sur investissement mesuré en temps de travail humain automatisable – donc pénible et sans valeur – qui nous permet de prioriser les demandes, tant nous avons de candidats à traiter. 

C’est pourquoi notre Direction du Digital, Data et Systèmes d’Information a créé un RPA Factory, dont le but est la prise d’autonomie sur ces technologies, pour offrir ‘sur étagère’ aux métiers de l’entreprise l’accès facile à la RPA.

Patrick Chabannes : Je vous remercie pour cet entretien passionnant accompagné d’exemples concrets. Un mot de conclusion ? 

Sylvain Féraud : La transformation digitale consiste à offrir tous les jours une évolution facilitée de notre rapport avec l’informatique, les données et l’information. 

C’est pourquoi, chez Servier, nous avons décidé de réunir toutes les compétences technologiques dans une seule et même division « Digital, Data & Systèmes d’information » afin de favoriser tout le potentiel de coopération et de donner de la cohérence à l’ensemble de leurs initiatives.

La transformation digitale réduit toujours les jours le schisme entre la technologie et leur utilisation pour et par les métiers, aligne les usages B2B avec ceux du B2C, offre l’accès à l’information au bout des doigts avec toujours plus de fluidité et de simplicité.

  • Sylvain Féraud est Director Group Purchasing Services, Servier
  • Les propos ont été recueillis par Patrick Chabannes, Cyrenac Conseil, dans le cadre du Baromètre sur le Succès de la Transformation Digital des Achats