30 août 2021

De la Transformation digitale des Achats – entretien avec Joël Aznar

Par Patrick Chabannes

« Tous les enjeux associés au digital en termes de partage, de collaboration, d’innovation, d’agilité, de maîtrise du risque… font forcément écho au niveau des Achats, telle une caisse de résonance vis-à-vis des transformations tant internes qu’externes à l’œuvre. »

Patrick Chabannes : Quelles réflexions les mots Transformation Digitale des Achats vous inspirent-ils ?

Joël Aznar : Les Directions des Achats doivent accélérer leur digitalisation afin d’accompagner la transformation digitale de leur entreprise. Cependant j’aimerais tout d’abord définir ces concepts utilisés parfois sans discernement. Il s’agit de considérer ici trois niveaux : la « digiTIsation », la « digiTALIsation » et la « transformation digitale ». 

  • La « digiTIsation » ou « numérisation » est l’action qui consiste à transférer un message (document, photo…) d’un support analogique ou physique, à un support numérique ou digital.
  • La « digiTALIsation », ou « dématérialisation », est l’utilisation de technologies numériques appliquées à l’ensemble d’un processus visant à en automatiser les tâches.
  • « La transformation digitale » va bien au-delà. Il s’agit ici de la capacité de l’entreprise à réinventer son offre de valeur sur le marché grâce aux technologies du digital.

Donc en ce sens, les Directions des Achats ont considérablement amélioré depuis 20 ans la digitalisation de leur processus, mais il est question maintenant de parachever ce cycle avec notamment la maîtrise de la donnée afin de participer activement à la transformation digitale de leurs entreprises.

« Paradoxalement, le nouveau monde digital qui se veut plus simple du point de vue des usages, sera plus complexe en termes de mise en œuvre, nécessitant un niveau accru d’adaptation, d’agilité, de collaboration et d’auto-apprentissage continu. »

Patrick Chabannes : En quoi les Directions des Achats seraient-elles plus impliquées que d’autres dans la Transformation Digitale ?

Joël Aznar : En fait, toute l’entreprise doit être impliquée et les Directions Support doivent reconsidérer leur rôle comme étant un rôle primordial dans cette transformation à l’instar des Ressources Humaines ou encore de la Direction Financière. Cependant, les Achats ne sont pas une Direction comme les autres car elle se situe à l’interface entre l’entreprise et son marché. Dès lors, tous les enjeux associés au Digital en termes de partage, de collaboration, d’innovation, d’agilité, de maîtrise du risque… font forcément écho au niveau des Achats, telle une caisse de résonance vis-à-vis des transformations tant internes qu’externes qui sont ici à l’œuvre.
Au centre donc des relations entre l’interne et le monde extérieur, les Directions des Achats ont à la fois plus de défis à relever mais peut-être également plus d’opportunités que d’autres Directions.

Patrick Chabannes : Vous semblez dire que la digitalisation des processus, prélude ou condition de la transformation digitale, serait incomplète. Pourriez-vous développer ? 

Joël Aznar : En effet, si les quinze dernières années ont vu beaucoup d’évolutions, je ne crois pas que l’on puisse encore parler de Révolution… Du point de vue du « Source to Pay », peu d’entreprises ont réellement finalisé la quadrature du cercle, c’est à dire la digitalisation de leurs processus de bout en bout, avec des solutions homogènes et totalement intégrées. 
Que dire de l’expérience utilisateur, qu’il soit Fournisseur ou Collaborateur face à la multiplicité et à la diversité des solutions qu’il est nécessaire d’appréhender ce qui mène inexorablement à des « ruptures de charge » permanentes dans les activités opérationnelles. L’interopérabilité reste généralement très partielle. Toutes les catégories, directes, indirectes, ne sont pas systématiquement traitées ou parfois de manière incomplète. Bien entendu on ne peut pas nier que les investissements en Procure to Pay ont été considérables au cours des dernières années, mais de mon point de vue le chantier demeure encore inachevé. 

« Il ne s’agira pas de digitaliser des processus obsolètes mais de repenser nos opérations en même temps que nous repensons la valeur proposée au marché. »

Patrick Chabannes : En quoi la sur-communication de la part des éditeurs poserait-elle un problème ?

Joël Aznar : La multiplicité des offres capte toute l’attention des Directeurs des Achats qui se posent alors la question du choix de la solution dans laquelle investir, centrée principalement sur le « Quoi et Comment ? », et faisant généralement l’impasse sur le stratégique « Pourquoi-faire ? ».

Au-delà de la simple digitalisation de la fonction, les Directeurs des Achats devraient surtout porter une vision, un sens à donner à cette digitalisation et à son alignement avec la transformation digitale de l’entreprise… Non pas seulement un alignement d’ailleurs, mais être clairement un moteur de cette transformation et un agent actif du changement permettant par là même à leurs entreprises d’anticiper les évolutions à venir. 

Patrick Chabannes : Quelle est donc votre vision des prochaines années en termes de transformation digitale et du rôle des Achats ? 

Joël Aznar : En 2017 dans son Key Issues Studies le Hackett group pointait que si 84% des Organisations Achats pensent la transformation digitale fondamentale dans les 3 à 5 ans, seulement 32% avaient défini un plan. Nous sommes en 2021, pensez-vous que ces chiffres ont fondamentalement changé ?  

Le monde quant à lui va changer encore plus vite, c’est certain. Les disruptions deviennent monnaie courante. L’IA et toutes ses composantes, l’IoT, les Smart Contracts & la Blockchain, les espaces de travail délocalisés et virtuels d’équipes agiles, facilités par le digital et induits par ce que l’on appelle la « liquid workforce » vont bouleverser nos vies… et la crise sanitaire que nous traversons actuellement ne fera que accélérer et amplifier ces bouleversements.

En contact avec l’externe, les Achats, devront accompagner, permettre et faciliter ces transformations en décryptant le monde à venir, en identifiant à la fois les signaux faibles mais aussi les tendances majeures afin de permettre à l’entreprise d’anticiper, de s’adapter et d’intégrer au mieux ces évolutions.

« DIGITAL = DATA + IT…. + PEOPLE »

Patrick Chabannes : Un mot de conclusion sur les données, la digitalisation et la transformation digitale ?

Joël Aznar : Si la donnée, sa qualité, sa maîtrise, sa protection et sa gouvernance sont au cœur de la digitalisation, la capacité à la faire parler et à savoir l’utiliser est désormais le sésame de cette transformation digitale. Au-delà de la gouvernance de la donnée, il est aussi nécessaire d’investir dans les compétences, de former et d’embaucher des data scientists, des analystes, des data ingénieurs et de faire évoluer l’ensemble des collaborateurs afin qu’ils soient mieux préparés à ces changements à venir.

Enfin, en mot de conclusion, je dirais que la clef de la transformation digitale ne sera pas selon moi la technologie. Quand bien même cela est ma spécialité, je dirais que ce n’est pas non plus la data… De mon point de vue, tout l’enjeu de cette transformation repose essentiellement sur l’Humain qu’il faut impérativement remettre au centre de cette équation. Les progrès apportés par les automatisations du digital doivent se faire au service des clients cela va de soi, mais aussi au service de nos partenaires, au service de nos fournisseurs et enfin au service des collaborateurs et de l’organisation… mais surtout pas à leur dépend, au risque de vivre un re-make des « Temps Modernes » version 4.0

  •  Joël Aznar est Directeur Global Supply chain et Data Gouvernance, Schneider Electric
  • Les propos ont été recueillis par Patrick Chabannes, Cyrenac Conseil, dans le cadre du Baromètre sur le Succès de la Transformation Digital des Achats