De la Transformation digitale des Achats – entretien avec Laetitia Catrice
« Nous sommes des êtres de relations, des porteurs de signes, de messages. Le digital doit nous offrir le temps de créer la relation avec les fournisseurs. »
Patrick Chabannes : Que vous évoque la transformation digitale des Achats ?
Laetitia Catrice : Pour ma part je comprends la Transformation Digitale des Achats comme l’ensemble des outils digitaux permettant d’améliorer l’efficacité des processus et des tâches ; une efficacité libérant du temps pour que les acheteurs puissent en passer plus avec les fournisseurs et ainsi créer de la valeur ; une création de valeur rendue possible grâce aux relations humaines, d’ailleurs non digitalisables. Et ce sont celles-ci qui, seules, favoriseront le co-développement ou l’innovation, sources d’une performance responsable au service du business. Nous sommes des êtres de relations, des porteurs de signes, de messages. Le digital doit nous offrir le temps de créer la relation avec les fournisseurs.
Patrick Chabannes : Vous posez d’entrée de jeu la création de valeur dans une relation avec les Fournisseurs. Quels sont les enjeux de la Direction des Achats de Sephora Collection ?
Laetitia Catrice : La Direction des Achats de Sephora Collection est alignée sur les challenges business. Sephora Collection fait partie de l’ADN de la marque Sephora : une marque inspirante aux produits innovants, fun et porteurs de valeur commercialisée en omnicanal. La Direction des Achats accompagne la forte évolution digitale du modèle d’affaires de la marque. En fait, un peu pour répondre à votre question précédente, Les Achats se transforment si le business de leur entreprise se transforme. La transformation digitale est une transformation d’entreprise au sein de laquelle les Achats, comme service support, prend toute sa part.
« La mise à disposition d’une information intelligible et contextualisée permet aux acheteurs de se concentrer sur l’interprétation et l’analyse de la donnée. »
Patrick Chabannes : Vous posez la question de l’efficacité et surtout du gain de temps. Où attendez-vous le digital ?
Laetitia Catrice : La Digitalisation est un support à la performance pour recentrer les Achats dans ces fondamentaux, à savoir : l’analyse des données et des informations, la relation avec les fournisseurs et l’adaptation au business modèle de l’entreprise.
Les outils digitaux de décomposition de coûts ou de gestion d’appel d’offre sont très utiles. Le pilotage de la performance doit bénéficier des apports du digital. En effet, les acheteurs perdent souvent trop de temps à rassembler les informations relatives à la performance alors que la valeur est sur l’analyse du dashboard plutôt que sur sa mise à jour. De même les outils digitaux doivent permettre la maîtrise du coût TCO ou TVO en incluant des indexations, entres autres variables, sur les prix des matières premières ou du fret. La mise à disposition d’une information intelligible et contextualisée permet aux acheteurs de se concentrer sur l’interprétation et l’analyse de la donnée.
Patrick Chabannes : Vous insistez beaucoup sur l’analyse des données ? Pouvez-vous développer votre point de vue ?
Laetitia Catrice : Il est important que les tableaux de bord de performance doivent être co-construits avec la finance, les achats et l’IT pour offrir des solutions intuitives, fiables, mobiles et aisément personnalisables. Mais les chiffres ne donnent pas la vérité. Ils sont souvent faux et les incohérences sont fréquentes. Gardons de la distance, interprétons et analysons une représentation de la réalité offerte par les tableaux de bord.
« Et si nous devons digitaliser le processus, digitalisons ce qui fera gagner du temps et de l’efficacité pour mettre le système au service de l’humain. »
Patrick Chabannes : En vous entendant évoquer les processus, je vous sentais équivoque. Un peu comme si les processus étaient un mal nécessaire. Que pouvez-vous préciser sur le sujet ?
Laetitia Catrice : Entendons-nous bien, il est très important de décrire et suivre un processus lorsque vous travaillez en équipe et, qui plus est, dans une grande société comme la nôtre. Mais l’on ne doit pas perdre du temps à suivre un processus que l’a souvent nous-même détaillé à l’envie. Il faut revenir à l’essentiel en décrivant un macro-processus incluant uniquement les étapes importantes, communes, inévitables, clés. Et si nous devons digitaliser le processus, digitalisons ce qui fera gagner du temps et de l’efficacité pour mettre le système au service de l’humain.
Patrick Chabannes : Pourriez-vous nous proposer une vision des Acheteurs de demain ? Leurs rôles ?
Laetitia Catrice : Ma conviction est que fondamentalement tout le monde fait des Achats car tout le monde a un budget. D’un côté les Acheteurs agissent directement sur un périmètre mais le gain réel réside dans une acculturation des métiers porteurs de budget à l’Achat, créer des référents achats. Et pour aller au-devant des métiers, il faut du temps et être suffisamment organisé ; gagner du temps pour aller chercher de la valeur ailleurs que dans les produits déjà bien négociés.
La digitalisation doit permettre à l’acheteur de demain de passer 50% de son temps dans un alignement avec les évolutions du Business Model de son entreprise, 40% dans sa relation avec les fournisseurs pour porter l’innovation et les projets/produits de demain et 10% à prêcher la parole Achats à d’autres fonctions.
- Laetitia Catrice est Directrice Achats Sephora Collection, Sephora
- Les propos ont été recueillis par Patrick Chabannes, Cyrenac Conseil, dans le cadre du Baromètre sur le Succès de la Transformation Digital des Achats