20 janvier 2022

Comment l’ambitieux Esker passe de la eFacturation au Source to Pay

Par Patrick Chabannes

L’éditeur lyonnais côté sur Euronext et spécialiste de la dématérialisation des factures sortantes (Order to Cash) et entrantes (Procure to Pay) étend son offre en prenant le contrôle de l’éditeur anglais MarketDojo, connu pour son offre Source to Contract on-demand. Décryptons la stratégie, le deal, l’impact sur le marché et les défis à relever.

Dans la perspective de l’augmentation des échanges électroniques, l’allié des Directions Financières et Comptable s’est lancé dans une extension de son offre de valeur en développant les briques fonctionnelles d’un Procure to Pay à partir de sa spécialité AP Automation ; une stratégie validée par son entrée comme Niche Player dans le Magic Quadrant en octobre 2020. Sa solidité financière et sa présence internationale alliées à l’exécution de son ambitieuse Roadmap sur la partie demande d’achats, catalogue et contrat devraient lui permettre de progresser dans le classement des analystes internationaux en proposant une offre Source to Pay complète au marché. 

Que penser de cette valorisation à 13 fois le chiffre d’affaires pour un éditeur Source-to-Contract SaaS multi-tenant?

Les annonces restent timides puisque le deal doit se finaliser dans le courant du trimestre mais il semble acquis qu’Esker acquiert 50,1% de Market Dojo et le contrôle de l’anglais, que la valorisation serait d’un facteur 13 du chiffre d’affaires, que la transaction se déroule en cash avec 20% en actions Esker et qu’une option d’acquisition totale dans quatre ans.

Que penser de cette valorisation ? Certains diraient que c’est cher payé mais en 2019 Workday n’a-t-il pas payé Scout RFP, SaaS multi-tenant, avec un facteur 15 ? Et si les acquisitions de solutions Source to Contrat de Iasta par Determine (2014), SynerTrade par Econocom (2015), BravoSolution par Jaggaer (2017) ont vu des facteurs respectivement de 1,5, 2 (est.) et 3,5 (est.), n’était-ce pas parce qu’elles étaient toutes bâties sur des technologies mono-tenant ?

Ces différences gigantesques de valorisation mesurées à l’aune d’un critère observable ouvrent à la réflexion pour les éditeurs et les investisseurs.

Market Dojo, l’une des rares solutions Source to Contract on-demand du marché

Dès ses débuts le francophile co-fondateur de Market Dojo, Alun Rafique, a décidé avec ses associés Nick Drewe and Nicholas Martin de proposer une solution de gestion des appels d’offres et des enchères simple d’usage et proposée à la demande. Un réel Software-as-a Service, n’est-il pas ? Ses clients testent, utilisent pour une enchère ou un appel d’offre avant de prendre un contrat Entreprise avec des engagements bilatéraux. Ses succès lui permirent de développer des modules supplémentaires tels que le Contract Management et le Supplier Management. Avec 1,3M£ de revenus, une croissance à deux chiffres, 160 clients de toutes tailles pour juste 20 personnes, l’expert du Source to Contract apportera d’outre-Manche des compétences métier et une efficace solution logicielle à Esker pour accélérer sa stratégie vers une Suite Source to Pay. 

ESKER et MARKET DOJO, quelles conséquences sur le marché Source-to-Contract?

Durant les quatre années de transition, les deux sociétés vont continuer d’opérer sous leur marque tout en proposant l’offre de l’autre sur ses territoires. Une bonne nouvelle dans la mesure où Esker s’assure de la continuité de la dynamique et des compétences des équipes de Market Dojo. Dans la mesure où il ne semble pas question à moyen terme d’investir sur de nouvelles compétences, l’on peut prédire que si les équipes orientée Achats de Market Dojo ne pourront pas tirer parti de l’offre Esker, en revanche les clients d’Esker dotés d’une Direction des Achats accéderont facilement à cette offre Source-to-Contract facile d’usage et à la demande dès fin 2022. 
2023 et 2024 verra une intensification de la compétition sur le marché des solutions S2C avec d’un côté les offres spécialisées à forte valeur de type Keelvar ou Archlet et d’un autre côté les offres généralistes et faciles d’usage de type Market Dojo ou ScanMarket mettant en souffrance les éditeurs historiques.

Au-delà de l’intégration technique, et si le grand défi à relever étaient les compétences métiers ?

Avec sagesse les dirigeants d’Esker demandent du temps pour analyser les modules Gestion Fournisseurs et Gestion de Contrat apportés par Market Dojo versus les développements prévus à sa Roadmap pour décider de sa stratégie technologique et fonctionnelle. L’intégration d’Un Source to Contract à un Procure to Pay ne posant pas de problèmes fondamentaux, Esker a la chance unique de pouvoir orienter sa Roadmap Upstream et Downstream en définissant une stratégie produit globale. 
Mais les Suites logicielles Source to Pay organisent des processus faisant entrer en jeu les Achats, le Contrôle de gestion et la Compta au service des métiers. L’enjeu pour l’éditeur est de comprendre l’ensemble de ces métiers qui souvent usent des mêmes mots pour signifier des concepts différents. Le défi réel sera de mener en interne un travail d’acculturation métier entre des spécialistes parlant les uns avec la Compta & Finances et les autres avec les Achats. 

Savoir ce que l’on ignore, créer une vision pour des métiers, recruter des talents sur un marché en tension, développer des partenariats, voilà des enjeux humains, trop humains. 

Merci à Alun Rafique, CEO et fondateur de Market Dojo et à Emmanuel Olivier, COO et fondateur de Esker, d’avoir pris leur temps de partager leur vision du marché et de certains éléments de leur stratégie. 

Lectori salutem, Patrick Chabannes