Réseaux Fournisseurs, une bulle spéculative ?
Tous les éditeurs mondiaux du marché Procure to Pay valorisent, à leur tour, leurs réseaux fournisseurs. 300 000 pour l’un, 500 000 pour l’autre ou même 1 million pour un troisième…D’autres nous prédisent des réseaux « intelligents » et des initiatives innovantes. Derrière ce mouvement, chacun devine la marque des private equity valorisant leurs investissements en vue des grandes manœuvres de consolidation attendues lorsque les géants du secteur, IBM, Oracle et autres, tenterons de rejoindre SAP sur ce marché de rente.
Paru dans la Lettre des Achats no: 215, Avril 2013.
La bulle spéculative naît sous nos yeux. Chaque Direction Achat a le pouvoir, aujourd’hui, de la tuer dans l’oeuf au service de son projet de dématérialisation, en analysant les composants technologiques et les modèles économiques.
Force est de constater l’échec relatif des projets de eProcurement ou de eInvoicing.
Certes il y a eu quelques projets bien menés, avec de fortes ressources associées, toujours plus longs que prévus et masquant un embarquement des fournisseurs volontairement sous-estimé et un montant de dépenses largement en dessous des prévisions des ROI des éditeurs et des sociétés de conseil. Comment expliquer que tant d’entreprises opérant sur des marchés différents, ayant des cultures diverses, constatent, après deux ans de déploiement ne pouvoir passer que de 2 à 10% de leurs achats indirects ? Pourquoi sur le marché de l’eInvoicing, en dépit des prévisions optimistes, la majeure partie des clients n’ont réalisé de dématérialisation qu’avec un nombre restreint de leurs fournisseurs ? Dans tous les cas, le bouc émissaire est le même : Le Client ! Sont pointées du doigt la non-implication du management, des spécificités fonctionnelles complexes, un manque de ressources….Ces explications cachent aussi des raisons plus mercantiles liant les éditeurs de logiciels et leurs intégrateurs. Revenir au business model toujours…
Le business model des projets de flux (eProc/eInvoicing/EDI) est relativement simple
Faire payer un octroi pour les documents transitant sur la plateforme de dématérialisation. Make or buy oblige, les éditeurs doivent apporter une économie d’échelle pour la mise en œuvre et la maintenance au regard des capacités de la DSI à réaliser le dossier. Or, les mises en œuvre sont longues et couteuses. Les fournisseurs n’ayant ni maturité ni moyens renâclent. Mais, dès lors qu’une implémentation est réalisée, la cash machine est en route. Les coûts de réversibilité étant à l’image de la réalisation, l’éditeur a obtenu une rente dont l’effet premier est l’absence de recherche de productivité, puisque toute innovation tuera la poule aux œufs d’or. Il s’agira donc de privilégier les éditeurs ayant développé des solutions technologiques ouvertes permettant des projets rapides et peu couteux. D’une part il sera plus facile de convaincre les fournisseurs de suivre, d’autre part, l’éditeur n’ayant pas accès à une économie de rente devra toujours rechercher au moyen de sa R&D de nouvelles sources de productivité ou de services à valeur ajoutée pour le plus grand bénéfice du Client.
Modèle payant ou gratuit.
Faut-il opter pour les modèles de réseaux fournisseurs gratuits. Que nenni !
Cette gratuité est souvent liée à une croissance en mode cash burning, conquête de part de marché soutenue par des fonds d’investissement alimentant la bulle spéculative avec des promesses qui n’engagent que ceux qui les recoivent.
Il est juste de payer pour une valeur ajoutée partagée. Une dématérialisation Commande/Facture ou eInvoice vs facture papier entraîne un ROI calculable. Par contre les éditeurs faisant payer un écot pour envoyer des commandes par email (process P2O) doivent être disqualifiés. Ayant constaté des augmentations unilatérales récentes des coûts coté fournisseurs, je ne répéterai jamais assez que la négociation globale doit être maitrisée par la Direction des Achats du donneur d’ordre.
L’économie B2B dématérialisée sera une réalité. Tous les documents commerciaux seront dématérialisés. Que la technologie propose telle évolution pour réduire les coûts de traitement est nécessaire. Mais ce chemin doit rester vertueux évitant de créer une économie de rente bloquant tout innovation au service de quelques uns.
Par Patrick Chabannes
“A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire.” G Orwell in 1984.