7 juin 2014

La petite mort silencieuse des enchères électroniques 

Par Patrick Chabannes

Promues comme forme de négociation ultime dans les années 2000, les enchères électroniques dites enchères inversées, ne font plus recette. Constat : Leur nombre a chuté en l’espace de trois années enterrant la pratique sous une opprobre tacite. Affirmons que cette baisse drastique de cette forme d’organisation des marchés au service des agents économiques n’est pas une bonne nouvelle pour la direction des achats. 

Paru dans la Lettre des Achats 228, Juin 2014

Les achats, aujourd’hui, peuvent-ils réellement se passer des enchères ? Cette forme commune d’organisation des prix des marchés – sous contraintes fortes de temps et d’espace – autorise la plus grande transparence et aboutit à des choix rationnels qui reflétent l’équilibre entre les différents acteurs économiques. 

Des mécanismes sociaux bien connus, de la théorie des jeux à l’équilibre de Nash 

Cette pratique permet de fixer le prix d’un service ou d’un produit en fonction des relations économiques et sociales des agents. Les mécanismes sociaux engendrés par leurs stratégies individuelles dépendent à la fois des règles de l’enchère et de la manière dont ils les interprètent, en définissant leur propre stratégie en fonction de ce qu’ils croient être les stratégies de tous les autres. L’organisateur s’introduira dans le jeu avec une variable importante du problème de l’enchère optimale : le prix de réserve. L’équilibre du jeu, quand on exclut la coopération entre les agents, sera un équilibre de Nash, cette situation dans laquelle les joueurs n’ont pas de regrets, même après avoir vu les stratégies des autres joueurs.

Un gage de qualité et de progrès 

Cette pratique parcoure d’ailleurs les continents et les natures d’achats. Diamants, tableaux, immobilier, chevaux et tous les marchés de denrées périssables où compte la vitesse d’exécution, le monde économique a depuis longtemps adopté les enchères comme organisation de nombreux marchés. Les éditeurs de logiciel e-achat n’ont fait que modéliser le monde réel avec, par exemple, la hollandaise, ou enchère au cadran, pratiquée au marché aux fleurs de Aslsmeer, voyant le prix baisser jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un ou la Vikrey, pratiquée sur le marché aux timbres de Londres, faisant payer au vainqueur le prix proposé par le second ! 

Rappelons que le marché au café est dopé par les enchères en ligne qui « jettent un pont entre le cultivateur de café de qualité, le commerce de qualité et au bout du compte le consommateur(1) », ou encore que « les ventes aux enchères sont en effet un élément essentiel de la compétitivité du marché de l’art français(2) ». Le marché de la publicité aux enchères et en temps réel explose et The Guardian en tire un levier de croissance auprès des annonceurs étrangers. Ce qui le dispense de déployer des commerciaux hors du Royaume-Uni, où se trouvent les deux-tiers de ses lecteurs. 

Pourquoi s’interdire de demander le prix final en ligne ? 

Dans un monde en changement permanent, réitérons que l’enchère est une forme d’organisation d’un marché permettant d’en fixer en toute transparence les prix qui doit être maitrisée par la direction des achats. Des compétiteurs pourront ainsi faire valoir des coûts de structures allégés par des méthodes de management modernisées. Si, à l’image du commissaire priseur, l’organisateur se professionnalise, alors le temps gagné par toutes les parties et la transparence des prix, impossible à garantir en négociation face à face, sont les meilleurs garants de la prise en compte de l’innovation et de la productivité de tous les agents. 

Se cacher derrière la réticence des prescripteurs vis-à-vis de la pratique des enchères, apparait en réalité souvent comme une marque de la faiblesse de la direction des achats sur une catégorie de dépenses. Pourquoi ne pas plutôt aider les éditeurs de logiciel d’enchères à faire émerger le grand potentiel d’amélioration encore à disposition tant en termes d’ergonomie que de compréhension des mécanismes sociaux engendrés ? Car, franchement, quelle que soit l’importance que l’on confère à la relation fournisseur, au nom de quoi s’interdirait-on de demander le prix final en ligne ?​ 

  • ​Revue Forum du Commerce International
  • ​Hervé Chayette, président du SYMEV dans Le journal Le Monde en 2010 

Par Anthelme de Cyrénac –